1876, Camille Doncieux se drape d’un kimono dont le rouge ne cessera de capter l’attention des regards portés sur le tableau de son époux, Claude Monet, nommé La Japonaise.
Si le célèbre impressionniste français est connu pour avoir collectionné bon nombre d’estampes japonaises, il nous rappelle surtout que les regards croisés entre la France — à fortiori l’Europe — et le Japon ne datent pas de notre siècle.
Le tant attendu JEFTA (Japan-EU Free Trade Agreement – accord de libre-échange entre le Japon et l’Union européenne) est lui aussi le fruit de ces dialogues euro-nippons.
Pour sa part, il est entré en vigueur le 1er février 2019 à l’issue d’une maïeutique socratique dont les dix-huit tours de négociations à son sujet en sont la preuve.
La signature d’un tel traité était devenue nécessaire compte tenu notamment des 37 % représentés par les parties dans la totalité des échanges commerciaux mondiaux et de leurs places respectives de 3ème, et 6ème partenaire commercial l’une pour l’autre.
Décrit par certains comme le plus gros accord jamais négocié par l’UE, ce traité nourrissait les espoirs de la Commission européenne qui envisageait un hausse de 0,76 % de son PIB liée à la multiplication des échanges commerciaux avec le Japon. Si, comme attendu, l’objectif premier du traité n’est autre que le développement du libre-échange entre les deux parties, l’absence d’un mécanisme dédié aux règlements des différends issus des investissements internationaux interroge sur la place que pourra occuper à l’avenir l’arbitrage international dans le cadre
de contentieux opposant des ressortissants japonais et européens.
Et pour cause, d’une part, l’absence d’un tel mécanisme permettait tant à l’Union européenne d’accélérer la ratification dans un contexte de scepticisme héritée de la décision Achméa qu’au Japon de répliquer rapidement au protectionnisme américain lié au retrait des États Unis du Traité Transpacifique (TPP).
D’autre part, cela répondait à la fois aux craintes croissantes de chalandage — phénomène par lequel les investisseurs cherchent artificiellement à obtenir la nationalité d’un Etat partie au traité pour bénéficier de sa protection — et aux espoirs d’un futur tribunal multilatéral de l’investissement nourris notamment par le Comprehensive Economic and Trade Agreement (CETA).
Sur le libre-échange, la facilitation des échanges est consacrée par le traité, et particulièrement en son chapitre 4 dédié aux questions douanières permettant notamment « de garantir la transparence dans la législation douanière et des autres dispositions législatives et réglementaires en matière commerciale de chaque partie ».
Cet essor des interactions commerciales et économiques entre les parties est une manne insoupçonnée pour l’arbitrage commercial dont le rejet de l’arbitrage d’investissement conduira paradoxalement à sa prolifération.
En effet, cela résultera non seulement de la nécessité d’insérer des clauses compromissoires dans la multitude de contrats commerciaux qui verront le jour grâce aux nouveaux échanges mais aussi du cadre juridique propice à l’arbitrage en Europe, voire au Japon.
S’agissant des nouveaux contrats, il va sans dire que l’apparition de nouvelles transactions commerciales dues à une simplification des moyens d’entrée sur les marchés européens et japonais va de pair avec un besoin d’encadrement juridique croissant et de contrats dédiés dans lesquels se posera la question du règlement des différends.
S’agissant du contexte japonais, l’attrait pour les modes alternatifs de règlements des différends est notamment matérialisé par le recours fréquent à la médiation.
Toutefois, il faut admettre que le droit japonais de l’arbitrage maintient un certain interventionnisme des juridictions étatiques en empêchant par exemple au tribunal arbitral d’ordonner des mesures conservatoires et provisoires.
Quant aux Européens, et particulièrement les Français, ils restent friands d’arbitrage international en raison notamment de sa neutralité, la rapidité des procédures ou encore de l’expertise des arbitres nommés.
En particulier, la France — et en première place Paris — se distingue dans le monde par son favor arbitrandum et sa volonté de juguler l’intervention des juridictions étatiques dans la procédure arbitrale.
À titre d’exemple, la compétence du juge d’appui en matière d’arbitrage international est délimitée par les chefs de compétence prévus à l’article 1505 du Code de procédure civile, et selon l’article 1468 du même code, le tribunal arbitral peut ordonner des mesures provisoires ou conservatoires.
En définitive, compte tenu de la relative liberté qui est accordée aux parties dans le cadre d’une procédure arbitrale (choix du droit applicable, nomination des arbitres, détermination du calendrier de procédure, etc.), cet encouragement du libre-échange fera finalement la part belle au libre-arbitre !
Wissam Mghazli
Co-écrit avec Ezzine Andoulsi et Floriane Bared
Article issu du Journal du Management Juridique, numéro spécial « Droit International » publié par LegiTeam et le Village de la Justice